JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
N<> 3405.
33me année.
FEUILLETON.
Le langage de nos libéralistes est l'in
dice le plus frappant de la faiblesse radi
cale de leur cause. En face de la lutte
électorale qui se prépare, quels sont les
arguments que le Progrès est parvenu
produire, jusqu'à ce jour, pour étayer ses
prétentions. A nos raisbns il n'a su op
poser que d'impuissantes et lourdes in
jures. Perdu dans l'indigeste fatras d'une
Stérile déclamation, il semble, en déses
poir de cause, avoir renoncé se défendre
sérieusement.
Qu'on y regarde deux fois cependant,
et ion s'apercevra aussitôt que tel fut la
tactique constante du parti clérophobe,
nourri des leçons de Voltaire. Pour luiil
n'est question ni de trouver la vérité, ni
de convaincre les intelligences; mais de
répondre aux plus grossiers instincts, et
d'allumer les passions mauvaises. Couvrir
sous le sophisme des mois et le fracas de
la forme, l'inanité du fond et le dévergon
dage de la pensée: tel est le secret de son
style et de ses phrases creuses.
Pour caractériser encore sa manière, il
nous suffit d'emprunter au confrère une
pbilippique, qu'il nous adresse dans son
n* du 16. Il s'efforce d'y tracer notre por
trait sous les couleurs les plus noires, et,
par suite d'un instinct aussi juste que pro
fond, n'a trouvé rien de mieux que de nous
gratifier du sien. Nous l'avouons, il est fait
de main de maitre; aussi nous suffira-t-il
pour le lui renvoyer de remplacer ses dé
nominations de Raziles, feuilles cléricales:
épithètes banales qui seules empêchent
de n'y voir qu'un soliloque.
Décidément le parti libéraliste est saisi
de vertige et de folie, ses organes sont fu
ribonds tel point qu'ils ne gardent plus
aucune mesure. Calomnie, diffamation,
grossièretés, toutes les preuves d'une fu
reur impuissante s'étalent majestueuse
ment dans les colonnes du Journal des,
Répus. Il n'est pas d'exemple de tant de
mauvaise foi, unie une impudence plus
pyramidale. Le délire seul peut inspirer
des folliculaires aussi méprisables qui fa
briquent des élucubrations où la sottise le
dispute au ridicule.
Quant nous, nous l'avons dit depuis
longtemps et nous devons le répéter de
vant le dévergondage des feuilles cléro-
phobes, leur cynisme ne s'élèvera jamais
la hauteur de notre mépris.
Ah! Progrès, Progrès; les temps ne sont
plus où tes aboiements d'énergumène
surent troubler les intelligences les plus
droites et les plus rassises; où l'éclat de
les pompeuses et frivoles promesses fas
cinèrent la foule éblouie. Les faits ont
constaté l'évidence ce dont tu es-e»p»ble.
Le temps, qui use les préjugés et les pas
sions populaires, a miné profondément les
étais vermoulues qui soutiennent ton trône
d'un jour. Le temps a proclamé qui sont
ces hommes, qui en moins de trois ans de
puissance imposèrent de nouvel les charges
au pays, absorbèrent les libertés commu
nales, opposèrent les entraves du mono-
pôle l'enseignement libre, tarirent pro
fondément, une époque de paupérisme
et de famine, les sources vives de la charité
privée. Le temps a déteint sur ta face dif
forme le masque menteur que couvrait
jadis un fard généreux. En vain tu te dé
mènes dans le vide; tes clameurs étonnent,
dégoûtent; mais n'émeuvent pas. Guêpe
insolente et bavarde, dont le bourdonne
ment importune, mais qui n'a plus d'ai
guillon.
Déjà, plus d'un symptôme alarmant est
venu révéler le déclin d'un pouvoir sans
consistance. Déjà l'opinion publique a
frappé de sa vindicte un parti décidément
jugé. En vain lepseudo-libéralisme nourrit
le fol espoir de détourner la verge de sa
justice; le peuple Belge n'est pas celte na
tion décrépite, dont la vigueur expirante
ne se ranime un instant que pour s'éteindre
aussitôt. Le peuple Belge est riche de sève
et d'avenir; il ne s'endormira pas dans une
lâche torpeur; son bras peine levé, ne
s'affaissera pas inerte et impuissant. Le
peuple Belge a le sens droit, et les manœu
vres, les pasquinades de ces gens dont sa
bonne foi fut un jour la victime, se sont
dévoilées devant lui dans toute leur cru
dité. Encore quelques jours, libérâtres, et
vous aurez fourni votre carrière; c'est au
bout de l'arène électorale que vous attend
sa justice!
UN C0NF1TE0B DU PROGRÈS.
VÉRITÉ ET JUSTICE.
Ou s'aboune Yjires, rue de Lille, io, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIX DE L'SMXSEIIRMT, par trimestre,
Yprt-S fr 3. Les autres localités fr 3 5o. Cu n» a5.
It Propagateur parait le DA.VfEDf et le MERCREDI
de chaque seiuaiue. (Insertions II centimes la ligne).
7PS.ES, 18 Mai.
(Suite.)
Aussi, j'ai bien résolu de ne pas me montrer 'a
Toulon, et d'éviter des désagréments qui peuvent
avoir des suites sérieuses et déplorables. Si ma
belle-mère y consent, nous ferons quelque petit
voyage dans l'intérieur, ou en Italie, ou en Es
pagne, h son choix; et, quand nous rentrerons en
France, ma conduite aura déjà été justifiée par mes
camarades arrivés des Indes, et mes injustes amis
n'auront que des excuses m'offrir.
Tout cela fut dit d'un ton simple et nature) qui
aurait trompé les plus habiles. La bonne et naïve
madame de Mellan s'alarma tellement, pour sa fille
surtout, l'idée de ces querelles d'hônneur, qu'elle
proposa la première d'abandonner le territoire
d'une ville où son gendre avait eu trop de relations
pour ne pas trouver un ennemi et un injuste duel.
La campagne même où elle s'était retirée n'était
pas une garantie contre ses alarmes maternelles,
puisque toutes les résidences voisines étaient peu
plées de familles de marins qui échangeaient des
visites dans la soirées de la belle saison.
Cardan ne témoigna aucun empressement de
quitter sur-le-champ la campagne de Toulon
niais ce calme, fort bien joué, ne servit qu'à re
doubler les craintes de madame de Mellan, qui se
crut obligée de faire violence son gendre futur
pour le décider entreprendre lin voyage; puis
tirant part le galérien, elle lui dit en montrant
Anna
Cette pauvre enfant est bien timide il faut
voyager quelque temps ensemble on est de vieux
amis au bout d'un mois. Nous sommes indépendants
de tout le monde, vous et moi, n'est-ce pas? Vous
pouvez épouser ma fille en Espague, en Italie,
comme en France, connue partout. Ainsi com
mençons par mettre notre esprit en repos, et par
tons.
Cardan s'inclina de l'air d'un homme qui se
résigne, et il dit
Je ne veux pas refuser ma belle-mère le
premier service qu'elle ine demande partons.
Dans les dispositions de départ qui furent faites
entre Cardan et la bonne veuve, il fut convenu que
Proghère, le prétendu valet de chambre, resterait
la campagne pour soigner les bagages et les petits
affaires domestiques laissées en souffrance, et qu'on
lui laisserait une certaine somme d'argent pour les
dépenses prévues et imprévues.
Le lendemain, avant l'aube, madame de Mellan,
sa fille et le galérien partirent en poste pour Mar
seille. Cardan se procura dans cette ville un passe
port pour l'Espagne, et, quelques jours après, il
descendait, avec les deux dames ses victimes,
l'hôtel des Astnries, Barcelone.
Les anuales du crime offrent peu d'exemples
d'une histoire où l'incroyable joue un plus grand
Le Progrès, organe de la clique cartonnée,
Commence confesser enfin au public que le vais
seau libéraliste n'a plus le vent en poupe, et que
les hommes qui montent le bâtiment de la nou
velle politique n'ont point raison d'être rassurés
rôle. Au reste, si ces événements o'élaient pas ex
traordinaires, ils ne seraient pas racontés.
Deux semaines environ après le départ de ma
dame de Mellan, le jeune Albert de Kerbriant
débarquait sur le quai de Toulon, devant Phôtel
de ville, et, sans se donner le temps de quitter les
habits qu'il rapportait des Indes, il courait la
recherche de madame de Mellan. Aux bureaux de
la poste, on lui indiqua la campagne, et notre ma
rin sauta sur le premier cheval de louage et s'y
rendit en trois élans de galop.
Arriver des Indes avec la riante perspective d'un
mariage millionnaire improvisé, toucher la terre,
voir la maison qu'habite la jeune fille inconnue,
tout cela n'arrive qu'une fois dans ce monde. Le
jeune Albert tressaillit la vue de cette treille
italienne, qui laissait apercevoir, travers ses pam
pres, des nuages de cheveux et de mousseline
blanche là étaient sa famille future, son bonheur,
sa fortune, son avenir. Il se précipita de cheval
l'extrémité de l'avenne, et, arrivé sur la terrasse,
dans une agitation extraordinaire, il prononça le
nom de madame de Mellan et le sien. Un groupe
de dames et de jeunes gens se leva silencieusement
au cri d'introduction du jeune homme, et tous les
regards stupéfaits interrogèrent ce nouveau venu,
que personne ne connaissait.
Un instant étourdi par celte réception étrange,
Albert de Kerbriant pensa qu'il s'était trompé de
maison, et il s'excusa en ces termes