JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDIS
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Ko 3379.
33me année.
VÉRITÉ ET JE8TICE.
7P3.SS, 16 Février.
Un des thèmes favoris que brode le
Progrès et les journaux de son acabit, ce
sont les services éminents rendus par le
soi-disant libéralisme la chose publique.
Languisante, dévorée par l'ogre de Theux-
Malou, la Belgique, s'il faut en croire ce
journals'est réveillée heureuse et pros
père, du moment où le ministère libéral
se saisit hardiment des rênes du pouvoir
et commença son œuvre de réparation.
C'est enivré de joie et d'enthousiasme
la vue de ce prétendu bonheur dont jouit
notre patrie que le Progrès s'écrie dans son
numéro n° 914: il est rare qu'on rend un
grand service quelqu'un sans encourir
son inimitié et sa haine, au lieu de pouvoir
compter sur sa reconnaissance. En poli
tique, il est absolument de même et le parti
clérical se charge de donner cet enseigne
ment!
Admettre qu'en présence d'un bienfait
reçu, on affiche de l'ingratitude, c'est là,
nous l'avouons, une conduite coupable;
mais l'opinion conservatrice ne sera jamais
convaincue d'avoir agi de cette manière.
A cette vérité le Progrès lui-même rend
un hommage tacite, en passant sous si
lence les services rendus par le cabinet
dont il est peut-être le plus-vil esclave. Et
afin que ce mutisme ne puisse guère s'at
tribuer un oubli de sa part, nous osons
bien le sommer de nous dire quels sont les
fameux actes que la politique libéràtre a
posés pour avoir droit la reconnaissance
commune?
Est-ce la destitution de six braves géné
raux, de cinq gouverneurs distingués, d'une
foule de respectables commissaires, répon
dez-nous;
Est-ce le gaspillage des deniers publics
dans les parades, les divertissements, les
expositions agricoles?
Si le fransquillon Rogier a droit notre
reconnaissance exposez-nous ses titres;
dites nous quels sont ses œuvres?
Est-ce pour avoir promis de sauver les
Flandres, et de n'avoir su mieux faire en
vers elles, que ses prédécesseurs?
Est-ce pour avoir, de concert avec son
collègue, le ministre de l'injustice, blessé
mortellement la bienfaisance, insulté la
charité privée et détourné illégalement de
mainte chaumière, les dons que la philan
thropie chrétienne voulait prodiguer. A la
face de tels bienfaits, proclamez-le, ram
pant Progrès, notre âme reste froide et
glacée, pour ne pas dire davantage.
Mais ce n'est pas tout; d'autres motifs
nous obligent peut-être vouer de la gra
titude au ministère.
N'est-ce point son estime et sa bienveil
lante protection en faveurde l'agriculture?
Encore une fois sacbez-le Progrès nous n'en
tendons pointcommeprotectricesdes mesu
res qui tendentà avilir le produit de la terre
et ruiner le laboureur au profil des fabri
cants et des industriels des grandes villes.
Nous ne comprenons point comme étant
utile et sage un système qui n'accorde de
la protection douanière que pour les ma
nufactures, les usines et le commerce et
qui prétend qu'on facilité l'introduction
en Belgique des céréales et du bétail de
l'étranger. De cette façon d'agir, au bien
fait il y a une énorme distance. L'avenir le
prouvera: si lesdéplorableslhéoriesdu mi
nistère l'égard de l'agriculture venaient
prévaloir, l'ouvrier agricole appauvri,
ruiné, portera la besace et ira de porte en
porte mendier le pain que son bras géné
reux gagne et se plait donner ses sem
blables.
Évidemment, quand en favorisant, de
toutes ses forces l'importation des céréales
étrangères, le gouvernement aurait avili
le froment Belge; quand en tolérant l'en
trée du bétail exotique il aurait annihilé
les profits de l'engraissage intérieur que
deviendrait notre agriculture nationale?
Que feraient désormais les cultivateurs
et leurs nombreuses familles. Alors sans
doute leur bonheur, Progrès, serait au
comble; puisque dans les doctrines mi
nistérielles combattues par les Coomans,
les Alph. Vandenpeereboora, les Faignart,
les Bocarmé, vous voyez autant de bien
faits du ministère. 0 miseros nimium sua
si mala noriut, agricolas!
En dehors de ces exemples nous pour
rions établir d'autres faits qui ne témoi
gnent de rien moins que de la prétendue
gratitude que le pays devrait au minis
tère. Le projet de loi sur les successions
qui peut plaire au Progrès, par la raison
qu'il est comme les patrons de ce journal
tout puant d'orangisme; les entraves por
tées la liberté de l'enseignement et les
vues mesquines que professe le cabinet
Rogier l'égard de l'instruction moyenne
et primaire, sont autant de preuves qui
démontrent que l'estime que le peuple
Belge professe pour Rogier et ses Frères
ne peut être loin de ressembler celle
qu'il éprouva pour VanMaanende fameuse
ALDOVRANDVS MAGRUS.
■i.
On s'abonne Y près, rue de Lille, 10, près la Grande
Place, et chez les Percepteurs des Postes du Royaume.
PRIX DE L'AROXXEMEST, par trimestre,
Ypres fr 3. Les autres localités fr 3 5o. Un n° a5.
Le Propagateur parait le SAMEDI et le MERCREDI
de chaque semaine. (Insertions 19 centimes la ligne).
(Suite.)
LE PARRAIN.
A mesure que l'heure avançait, les craintes de
dame Marguerite devenaient plus grandes: h peine
pouvait elle se tenir sur son siège, et ses mains
agitaient machinalement les aiguilles de son tricote
sans s'apercevoir qu'elles ne formaient aucun,
maille. Neuf heures arrivèrent ainsi, et maître
Aldovrandt donna le signal de la prière du soir,
en appelant, par le son d'un sifflet d'argent qu'il
portait h sa ceinture, tous ses commis, ses domes
tiques et douze ou quinze chefs ouvriers qui de
meuraient dans la maison. Chacun s'agenouilla
sans bruit dans la grande salle, le visage tourné
vers une madone placée au-dessus de la cheminée,
et il se fit un silence religieux et solennel. Alors
le maître du logis, seul et debout au milieu de l'as
semblée, commença d'une voix lente et grave
dire les prières du soir; il récita d'abord Yorciison
dominicale, fit suivre le Credo et le Confileor et
termina par Y Ave Maria. Marguerite, dans les
préoccupations de sa douleur et sans quelle s'en
aperçut, mêla sa prière faible et sanglotante au
débit sévère et insensible du vieillard, qui disait
avec indifférence les paroles d'amour adressées
h la divine protectrice du pécheur, a celle qui
réunit la pureté angélique d'une vierge, et le su
blime caractère de la maternité. Aldovrandt n'osa
point l'interrompre, et Memlinck se sentit remué
jusqu'au fond du cœur lorsqu'il l'entendit s'écrier
avec une attendrissante expression
Sain te Marie, Mère de Dieu, priez pour nous!
La prière terminée, Antonius se leva, quitta sa
place et vint s'agenouiller devant son père eu lui
disant:
Monseigneur mon père, votre bénédiction?
C'était la coutume de chaque soir. Cependant
lorsque Aldovrandt vit l'enfant k ses genoux et la
tête respectueusement penchée, son cœur s'amollit
quelque peu et une légère émotion altéra sa voix
tandis qu'il imposait ses mains sur le front d'An-
tonius. Il répondit:
Dormez en paix, Antonius; je vous bénis au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Amen! s'écria Marguerite;amen! répéta-
t—elle.
Alors Antonius quitta son père et vint égale
ment pour s'agenouiller devantsa mère et recevoir
sa bénédiction; mais elle saisit le jeune homme
dans ses bras, le serra convulsivement contre sa
poitrine et le couvrit de baisers et de sanglots.
Ce transport rendit au vieillard toute sa cruelle
résolution il s'avança près d'eux, prit par les bras
Antonius, surpris et consterné de la douleur de sa
mère, et lui dit
Allez vous mettre au lit, il est l'heure.
Puis il se tourna vers Memlinck
Dieu vous ait sous sa sainte garde, compère
Chacun se releva, et le marchand resta seul avec
Marguerite. Celle-ci tomba affaissée aux genoux
de son mari, sans force, sans résistance, sans cou
rage, brisée, mourante. Il la regarda froidement, et
comme elle lui tendait les bras pour le supplier,
il demanda
Tout est-il prêt pour le départ d'Antonius
Elle jeta un grand cri et tomba sans connaissance.
L'évanouissement de Marguerite déconcerta d'a
bord le vieux marchand, qui n'avait jamais vu sa
femme dans un pareil état d'agitation et de déses
poir. Il essaya de la faire recevoir a elle; mais il s'y
prit avec tant de maladresse et d'inexpérience que
ses efforts restèrent sans résultat. Alors, en tou
chant ce corps glacé et k la vue de ces membres
immobiles et raidis, il eut peur et se demanda si
Marguerite n'était point morte. Mille sinistres pen
sées assaillirent sou imagination, et des remords
serrèrent sou cœur il aurait donné tout au monde
pour ne poiut avoir conçu ce fatal projet, au coup
duquel peut-être sa femme avait succombé. Il se
reprochait avec effroi son obstination inébranlable