JOURNAL D'APRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
S® 31GT.
Samedi, 5 Févria* 1848.
31me année.
LES INDIGENTS, LES HISTRIONS
ET LE MINISTÈRE.
Les journaux qui observent, qui appré
cient le Ministère du 12 Août, sans aucun
esprit de prévention, trouvent avec raison
qu'il est resté de beaucoup en dessous des
pompeuses et decevantes promesses de son
programme l'endroit de la situation dé
plorable où descendent les provinces fla
mandes. Aucune mesure saillante, aucune
idée neuve n'a surgi de la lutte du 8 juin;
les ambitieux, qui ne doivent leur éléva
tion qu'à un coup de main audacieux, sont
réduits faire élaborer dans leurs cabinets
des arrêtés n'ayant d'autre objet que d'or
ganiser des vues écloses et mûries sous le
ministère précédent. Il est donc très-vrai
de dire que depuis six mois le cabinet
Rogier donne un démenti formel aux fan
faronnades de l'ancienne opposition, qu'il
manque honteusement l'un des engage
ments contractés envers la Couronne et le
Pays, qu'il avoue non sans confusion et
dépit, son incapacité et son impuissance
d'apporter le moindre soulagement sensi
ble aux maux qui dévorent les deux plus
belles provinces de la Belgique.
Les organes de la faction exaltée, qui
sont naturellement inféodés au pouvoir
dispensateur des distinctions et des places,
félicitent M. Rogier et ses collègues de leur
dévouement et de leur activité; dans ces
arrêtés qui créent deux ou trois ateliers
modèles, qui conseillent quelques défri
chements de bois, qui mettent obstacle
la falsification de la graine de lin, qui
prescrivent l'amélioration des chemins vi
cinaux, qui instituent une exposition géné
rale des produits de l'agriculture, qui
invitent l'établissement de comités agri
coles, et autres de la même nature, ils
prétendent voir des moyens infaillibles de
relever et d'enrichir les Flandres. Et lors
que des mesures analogues émanaient des
cabinets antérieurs, elles étaient insigni
fiantes, inefficaces, ou plutôt elles devaient
produire un effet contraire celui que l'on
en attendait car il faut bien le rappeler,
le Ministère De Theux a été accusé, non
pas seulement d'abandonner les Flandres
leur triste sort, mais de les précipiter
dans la ruine et dans l'abaissement. Et
néanmoins que fait-on aujourd'hui qui n'ait
déjà été mis en œuvre? Les lois sur le
défrichement et les chemins vicinaux ont
été proposées, discutées et adoptées sous
l'ancien Ministère; l'exécution a été entra
vée par le mauvais vouloir du radicalisme
s'inûltrant dans les conseils communaux.
Les expositions des fruits de la terre et les
comités d'agriculture, les a.eliers modèles
pour la fabrication indigène ou exotique,
changeront-ils en rien la situation déplo
rable de nos populations? Augmenteront-
ils les productions du sol? Donneront-ils
des débouchés aux fabricants? Nous avons
cet égard des doutes sérieux que par
tagent tous les hommes indépendants, tous
ceux qui ne sont pas solidaires des men
songes et des calomnies de l'ancienne
opposition, et qui dès lors ne sont pas
obligés par un détestable amour-propre
soutenir, vanter, exalter les actes que
pose le Ministère actuel, qu'ils soient bons
ou mauvais, décisifs ou imperceptibles,
qu'ils viennent de son crû ou qu'il les
emprunte ses prédécesseurs.
C'est en vain que l'on s'empare de quel
ques paroles prononcées par M. Rodenbach:
il se serait bien gardé de donner une ap
probation sans réserve la conduite du
Ministère, tout comme il n'aurait point
voulu provoquer le désespoir par des plain
tes exagérées. M. Rodenbach a eu évi
demment le double but de stimuler le
gouvernement tout en laissant tomber une
parole d'encouragement sur ses infortunés
compatriotes.
Puissent les paroles de l'honorable
Représentant des Flandres porter prochai
nement quelques fruits: alors le Ministère
ne refusera plus aux pauvres ce qu'il ac
corde aux comédiens; alors on ne laissera
plus nos populations s'éteindre dans la
misère et dans les maladies que la misère
engendre, sous le prétexte odieusement
illusoire qu'on leur prépare le travail et
l'abondance.
On dit parfois: dans le pays des aveugles
les borgnes sont rois. La politique nouvelle
nous offre le singulier spectacle d'un peu
ple d'aveugles où l'on ne trouve pas même
un borgne. Parlez nos ministres de la
question des Flandres;ils ont convoqué
une commission. Parlez-leur des réfor
mes politiques ils ont nommé une
commission. Parlez-leur de la loi sur
les successions; ils n'osent la proposer
aux Chambres. Parlez-leur du serment
hollandais; ils ne savent ce qu'ils veu
lent en faire. La loi sur les sucres ils
n'ont sur cet important objet, ni opinion,
ni idée. Guatemala? ils examineront.
La Meuse? on n'en sait rien. Le che
min de fer d'Alost? silence absolu. Nos
ministres sont aveugles; tous les journaux
clubistes sont aveugles tous font preuve
d'avoir une langue bien pendue; ils parlent
beaucoup; mais ils n'ont pas d'yeux; ils
ne voyent pas. Dans la politique nouvelle
tout le monde est aveugle; on n'y connait
pas un seul borgne pour le moment. Quant
aux oreilles, elles ne manquent, mais on
les laisse pendre. C'est là une situation bien
fâcheuse et pour la politique nouvelleet pour
le pays; car nous souffrons tous de l'aveu
glement intellectuel, du parti intelligent.
On s'abonne Ypre*. roe de
Lille, u° 10, près la Grand'place, et
chez les Percepteurs des Postes du
Royaume
PIII II» L'tMIXBMESIT,
par Irlmeslre,
Ponr Ypresfr. 4 OO
Pour les autres localités 4—4»
Prix d'un numéro.
Tout ce qui concerne la rédac
tion doit être adressé l'Éditeur rue
de Lille, 10, Ypres. Le Propa
gateur paraît le 8 A 41 E D 1 et le
ntBCRKDI de chaque semaine.
PRIX I>I:N I*MF:BTIO\8.
f centimes par ligue. I.es ré
clames, 4 4 centimes la ligue.
VÉRITÉ ET JUSTICE.
7??.22G, 5 Février.
Un accident terrible est venu enlever subitement
M. Tyberghien, directeur de ventes, homme vi
goureux et qu'on pouvait croire bien loin encore
du terme de sa carrière. Sortant nuitamment de sa
chambre pour prendre uu vase de nuitqu'on
avait oublié, ou pour toute autre nécessité, il s'est
trçuvé sans le savoir sur le bord de l'escalieret
dans sa chiite, tombant de tout le poids de son
corps sur la rampe, il y est resté accroché par une
jambe. Malheureusement la violence du coup avait
déterminé de graves lésions intérieures. Eveillé par
le bruitson frère crut que des malfaiteurs avaient
pénétré dans la maison, et avaient assassiné son
frère aîné. Rencontrant dans l'obscurité au palier
une jambe accrochée, la frayeur et les gémissements
^étouffés qu'il entendait renforçaient cette idée.
En allumant une lumière, il vit ce qui était arrivé.
Relever son frère presque mourant, faire quérir
un prêtre et un médecin furent l'affaire d'un mo
ment. Grâce a cette active présence d'esprit, de son
frère, M. Tyberghien ayant récouvré connaissance,
a pu expliquer l'accident, se confesser, recevoir le
saint viatique et l'extrême onction. Ensuite il est
expiré.
Jeudi, jour des funérailles, une foule extraor
dinaire se pressait la mortuaire, et examinait
avec un douloureux intérêt les lieux qu'attristait
un si étrange malheur. Disons que dans beaucoup
de maisons, la construction mal combinée des esca
liers est une cause permanente de danger.
L'inhumation a eu lieu avec pompe. La Société
Royale de l'arc a-main sous la protection de Saint-
Sébastien, dont le défunt était gouverneur, suivait
le convoi en grande tenueprécédée de la musique
des pompiers. Au dessus des rangs flottait le ma
gnifique drapeau, étincelant d'or, qu'a donné
l'honorable compagnie S. A. R. le Comte de Flan
dre. Le feutre blanc que portent les sociétaires
contraste plus au moins avec le morne aspect d'af
fliction qui convient 'a une marche funéraire.
M. Tyberghien était l'un des directeurs de l'œu
vre si utile de la Miséricorde, établie S'-Martin.
On est unanime pour louer son grand zèle dans ce
bienfaisant emploi. Non seulement il payait de sa
personne, mais il faisait tout ce qui dépendait de
lui pour rendre service aux pauvres nécessiteux.
L'œuvre de la Miséricorde recherche les malheu
reux les plus abandonnés, elle les assiste de ses
moyens, et procure aux morts un honnête enter
rement. Plusieurs faveurs spirituelles, sont atta
chées cette institution pieuse et philanthropique,
aux tableaux de laquelle ne devrait manquer aucun
nom des familles aisées de la ville.