Retour du Congo.
J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Vendredi sont arrivés la gare du Nord, par 1«
train de 9 h. 32 du soir, venant d'Oslende, les
quatre compagnons du voyage équatorial de M.
Jérôme Beckcr. Ce sont MM. Durutte, adjudant
vie, nous trouvons de curieux détails sur la naissance i
du poète
On attendait Victorine, ce fut Victor qui vint. Mais
le voir, on eût dit qu'il savait que ce n'était pas lui
qu'on attendait il n'avait rien de la belle mine de ses
frères; il était si petit, si délicat et si chétif que l'ac-
courlirnr déclaia qu'il ne vivrait pas.
J'ai entendu plusieurs fois sa mère raconter sa
venue au monde. Elle disait qu'il n'était pas plus long
qu'un couteau. Lorsqu'on l'eut emmailloté, on le mit
dans un fauteuil, où il tenait si peu de place qu'on eût
pu en mettre une douzaine comme lui. On appelait ses
frètes pour le voir. Il était si laid, disait la mère, et
ressemblait si peu un être humain que le gros Eugène
qui n'avait que 18 mois et qui parlait peine, s'écria
en l'apercevant Oh! la bébête
Suivant sa propre expression, Victor Hugo parcou
rut l'Europe avant la vie. Il suivit son père dans
les campagnes de l'empire, d'abord en Italie, où en 1807
et 180 Sigisbert Hugo, devenu colonel et gouverneur
d'u e province de Calabre, guerroya contre le célèbre
Fra-Diavolo. Les années suivantes se passèrent Paris
dans cette vieille maison de l'impasse des Feuillantines
dont le poète a parlé maintes fois dans ses œuvres.
En 1811, M-' Hugo alla rejoindre en Espagne son
mari, nommé majordome du palais du roi Joseph et
gouverneur de 3 provinces. Elle emmena ses enfants.
Le voyage, sur des routes coupées par les guérillas, fut
très accidentée. Victor fut mis au collège des nobles de
Madrid, où il eut souffrir de l'hostilité des jeunes Es
pagnols. qui détestaient les Français II s'est vengé de
l'un d'eux en donnant plus tard son nom de Belverana
au sinistre compagnon de Lucrèce Borgia. On a sou
vent fait remarquer l'impression profonde et durable
que ce voyage en Espagne a faite sur la jeune imagi
nation du poète, qui a toujours conservé une allure de
fierté castillane. Hernani, nom d'une étape où il s'arrê
ta au retour,est devenu celui de l'un de ses principaux
héros.
Victor Hugo n'avait as quinze ans qu'il envoyait
l'Académie liançaise une épître qui fut couronnée.
L'année suivante, en 1818, il commençait cet admirable
recueil des Odes el Ballades qui lut publié en 1822 et
qui valut l'enfant les éloges de Chateaubriand. Le roi
Louis XV11I, s'étant fait lire le volume, donna au jeune
poète une pension de mille francs sur sa cassette. Vic
tor Hugo, qui attendait d'avoir quelques ressources
pour épouser la fille d'un compagnon d'armes de son
père. M'" Foucher, qu'd connaissait et aimait depuis
son enfance, se maria aussitôt.
Dès cette époque, malgré sa jeunesse, Hugo prend la
direction du mouvement romantique. Il publie le drame
de Cromwell, les Orientales, un de ses chefs-d'œuvres,
le Dernier jour d'un condamné puis il donne au
théâtre Afarion Delorme et Hernani.
La première représentation à'Hernani eut lieu le
25 Février 1830, et le souvenir en est resté comme
celui e la grande bataille romantique, de la bataille
par excellence. Tous les partisans de la nouvelle école,
amis connus et inconnus, s'y étaient donné rendez-vous.
On entrait avec un carré de papier portant marqué
la griffe le mot espagnol Iherro. Dès une heure, a
raconté Mme Hugo, les innombrables passants de la
rue nicl elieu virent s'accumuler une bande d'être fa
rouches et bizarres, barbus, chevelus, habillés de tou
tes les façons, excepté la mode, en vareuse, en man
teau espagnol, en gilet la Robespierre, en toque la
Benri 111, ayant tous les siècles et tous les pays sur les
épaules et sur la tète, en plein Paris, en plein midi Les
bourgeois s'ai rêtaient stupéfaits et indignés. M. Théo
phile Gautier surtout insultait les yeux par un gilet de
satin arlate et par l'épaisse chevelure qui lui descen
dait jusqu'aux reins. Le succès fut grand le premier
soir l'éditeur Baudoin, pendant la représentation
même, acheta et paya 0,000 fr. le manuscrit l'auteur,
qui n'avait que 50 fr. chez lui. Mais les classiques re
vinrent aux représentations suivantes, qui furent trou
blées par d'affreux tumultes. On peut dire que la
bataille se prolongea pendant les quarante-cinq soirées
où la pièce fut représentée,
En 1831, paraît Notre-Dame de Paris, ce g<ant
des livres pour employer l'expression o'un critique
de l'époque. Puis, le Roi s'amuse est représenté au
Théâtre-Français; la pièce est interdite le lendemain et
la seconde représentation n'en deva avoir lieu qu'un
demi siècle après, en 1882. Victor Hugo donna encore
successivement au théâtre Lucrèce Borgia et Marie
Tudor en 1833, Angelo en 1835, Ruy Blas en 1838 et
les Burgraves en 1843. Les premières de ces pièces
réussirent, mais non sans être fortement contestées
par des adversaires qui ne désarmaient point. Les
Burgraves n'eurent que quelques représentations et
n'ont jamais été repris.
En môme temps, ictor HufcO publiait les Feuilles
d automnedont les beautés intimes et la forme par
faite rallièrent cette fois tous les critiques en 1835 pa
raissent les Chants du crépusculeen 1837, les Voix
intérieures eu 1840, les Rayons et les Ombres. De
la même période sont encore s Une élude sur Mira
beau, Claude Gueux et le Rhin, recueil de lettres
publié en 1342.
Le poète fut élu membre de l'Académie Française le
3 Juin 1841 et nommé pair de France en 1845.
En 1848, Victor Hugo est envoyé par la ville da Pa
ris rassemblée constituante. Il est ensuite élu mem
bre de l'assemblée nationale, et c'est alors qii'il com
mence la lutte contre le prince Louis-Bonaparte. Le 2
Décembre, il. essaie vainement, avec Baudin, Schœl-
clier, Madier-Montjau, etc d'organiser la résistance.
L'histoire de son long exil est connue de tous: elle est
marquée, au début, par un pamphlet célèbre. Napo
léon le Petit et par les admirables et vengeresses poé
sies des Châtiments. Puis viennent les Contempla
tions, la Légende des Siècles, les Misérables, les
Chansons des Rues el des Bois, les Travailleurs de
la Mer et l'Homme qui rit.
Le poète avait juré de ne pas revenir en France
en dépit des lois d'amnistie tant que l'empire serait
debout
Sans chercher savoir et sans considérer
Si quelqu'un a plié, qu'on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis. Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla;
S'il en demeure dix, je serai le dixième
Et s'il n'en teste qu un, je serai celui-là
Il tint parole. Ce ne fut qu'en 1870 qu'il revit son
pays.
Son retour Paris fut un triomphe. 11 apparaissait
comme l'incarnation de la résistance contre le régime
qui venait de ramener l'invasion, comme le prophète
qui ava t annoncé les désastres sous lesquels venait de
s'effondrer l'empire.
Il s'enferma Paris pendant le siège. Une nouvelle
édition des Châtiments, faite par la librairie Hetzel, se
vendit 100,000 exemplaires, rien que dans la ville
assiégée. Il fut nommé représentant de la Seine aux
élections de Février 1871. Le 8 Mars, la droite de l'As
semblée l'ayant interrompu violemment, il adressa au
président la lettre suivante Il y a trois semaines,
l'assemblée a refusé d'entendre Garibaldi; aujourd'hui,
elle refuse de m'entendre je donne ma démission.
L est alors qu'il perdit son fils Charles, qui fut enterré
Paris le 18 Mars, jotir où éclata l'insurrection de la
Commune. 11 protesta contre la destruction de la co
lonne Vendôme, mettant sur le même rang Versail
les, qui bombardait l'Arc de Triomphe, et la Commune,
qui renversait la colonne. Il se rendit alors Bru
xelles. Nous croyons inutile de rappeler les faits la
suite desquels il dut quitter la Belgique.
En 1876, Victor Hugo fut élu sénateur de Paris.
Nous citerons, parmi les œuvres qu'il publia après
son retour en France, l'Année terrible. Quatre-vingt-
treize, Actes et parolesl'Art d'être grand-père,
Histoire d'un crime, Torquemada, etc.
m
Les de nières années de Victor Hugo ont présenté
un spectacle unique dans l'histoire des lettres. La
grandeur auguste de l'exil l'avait mis définitivement
hois de 'a critique. Comme on l'a répété souvent.il
était entré vivant dans la postérité. Il exerçait une
royauté littéraire incontestée non seulement en France
mais encore dans le monde Sa maison hospitalière,
ouverte qui voulait entrer, a vu défiler dans son
salon tout ce que la France contient d'hommes de
renom et tous les litt r&Lurs étrangers qui ont visité
Paris.
Il a été le président d'honneur de toutes les réunions
littéraires et d'un grand nombre de réunions politiques
et savantes depuis douze ans, et il serait impossible de
dénombrer toutes 1rs sociétés qui ont tenu honneur de
l'inscrire en tète de la liste de leurs membres. On a, de
son vivant, donné son nom l'avenue où il demeurait
et où il vient de mourir. Le quatre-vingtième anniver
saire de sa naissance avait été l'occasion pour lui d'une
véritable apothéose cinq cent mille personnes avaient
défilé ce jour-là devant se maison, apportant au vieil
lard, qui se tenait sa fenêtre, ému jusqu'aux larmes,
l'hommage de tout un pays.
Les funérailles.
C'est l'Arc de Triomphe que le comité des funérailles
a choisi l'unanimité pour l'exposition publique du
corps. Il est probable que c'est là également que seront
prononcés les discours officiels. Seuls les amis du poète
diront leurs adieux au cimetière. Le comité est disposé
faire de cette manifestation une granliose apothéose.
Il a fait appel aux artistes qui lui ont été adjoints pour
décorer avec magnificence l'Arc de Triomphe. Sous la
voûte du monument, sera élevé un imménse cénotaphe
sur lequel on déposera le corps du poète la veille du
jour des funérailles.
Bes troupes pied et cheval occuperont la place de
l'Etoile; la nuit, des feux sero.it allumés autour du mo
nument et des cavaliers formant la veillée funèbre por
teront des torches de flammes multicolores. Des brûle-
parfums aux flammes vertes brûleront également
autour du corps. L'exposition durera jusqu'au moment
des obsèques, avant et pendant lesquelles seront tirées
des salves d'artillerie.
Le cénotaphe sur leqnel reposera le corps sera assez
élevé pour qu'on puisse le voir de l'extrémité de l'ave
nue des Champs-Elysées comme de celle de la Grande-
Armée. Il sera construit sous la direction de M. Gar-
nier, l'architecte de l'Opéra. 11 aura plus de 20 mètres
de haut.
Malgré la magnificence de la cérémonie, c'est un
simple corbillard des pauvre» qui viendra prendre le
corps sous l'Arc de Triomphe. La famille tient expres
sément ce que la volonté du défunt soit scrupuleuse
ment respectée. De nombreux chars suiveront portant
les couronnes et les fleurs.
Un curieux spectacle est celui qu'offrent déjà les ma
gasins des marchands de fleurs de Paris.Les commandes
de couronnes affluent et tous leurs étalages en contien
nent de magnifiques. Peu ou pas d'immortelles; mais
des lilas blancs, des violettes, des roses.
On espère que les travaux peur la décoration de l'Arc
de Triomphe pourront être terminés Vendredi.Le corps
serait transporté dans le catafalque le lendemain matin
et pendant toute la journée de Samedi le public serait
a imis défiler devant la dépouille mortelle du grand
poète. Les obsèques auront lieu Dimanche.
De tous les points de la France et du monde arrivent
des dépêches, des adresses témoignant la douleur cau
sée par la mort du grand poète. Les journaux parisiens
se déclarent impuisants signaler toutes ces manifes
tations.
Ça et là, quelques protestations de fanatiques noir
ou rouge. Mais qui s'en soucie? Dans l'Univers, M.
Eugène Veuillot écrit plusieurs colonnes en vue de
prouver que Victor Hugo était un fort médiocre per
sonnage. L'Ami du Peuple simplifie les choses et se
borne qualifier le poète d'assassin Passons, les
injures de ces gens-là ne comptent point.