INTÉRIEUR.
5e ANKÉE. - N° 484.
JEl'DI, 25 DÉCEMBRE 1845.
JOURNAL DYPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
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YPRES, le 24 Décembre.
La discussion du budget des voies et moyens
se traîne péniblement la chambre. Les dépu
tés de l'opposition font entendre les plaintes et
les griefs qui sont répétés annuellement l'en
droit de notre régime financier. Ces débats ont
donné l'occasion M. De Breyne, le nouveau dé
puté de Dixmude, de présenter quelques ob
servations sur la manière d'appliquer les bases
de la contribution personnelle. M. le ministre
des finances ayant voulu mettre cet honorable
membre en conlradiction avec lui-même, M.
De Breyne a montré qu'il était moins endurant,
qu'on voulait bien le supposer. Sa réponse au
ministre a été assez ferme pour engager tout
autre qui entreprendrait de le réfuter légère
ment, d'y songer deux fois.
La taxe sur les boissons distillées a permis au
député de Dixmude de s'élever contre l'injustice
de la loi, qui dispose que les sommes payées de
ce chef n'entrent pas en ligne de compte pour
parfaire le cens électoral. Il a blâmé cette pres
cription de la loi et a prétendu qu'il n'y verrait
pas grand mal, si le nombre des électeurs était
augmenté. Cela empêcherait le gouvernement, a
ajouté M. De Breyne, d'intervenir dans les élec
tions d'une manière aussi révoltante.
Nous avons lieu de croire que l'arrondisse
ment de Dixmude aura fait un choix très-con
venable, en désignant M. De Breyne pour son
mandataire la représentation nationale. Dans
tous les cas, on a maintenant acquis la certi
tude qu'on n'aura pas regretter l'élimination
de M. Morel-Danneel.
Le Concert donné au bénéfice des pauvres
par les soins de Messieurs les officiers de la gar
nison, a eu lieu Dimanche dernier. Malgré le
mauvais temps la salle était littéralement com
ble; l'empressement était tel que dès cinq heu
res, on se hâtait déjà pour avoir des places. La
salle si triste d'ordinaire, si délabrée, n'était plus
reconnaître. On y avait disposé de charmants
trophées d'armes, simples, mais de bon goût,
composés de lances, de sabres, de tambours,
de pistolets, mortiers, grenades, que sais-je en
fin, de tous ces hochets dont les peuples s'amu
sent, mais qui deviennent quelquefois entre
leurs mains des instruments terribles de mort
et de carnage. Mais, rassurez-vous belles da
mes, toutes ces armes si meurtrières sont au-
jourdhui bien irioffensives et du reste leur
ardeur belliqueuse serait bientôt adoucie parles
accords mélodieux que vous allez entendre. On
remarquait surtout un portrait du Roidû au
pinceau d'un de nos artistes, entouré d'un déli
cieux trophée dans lequel le drapeau national
et celui de la ville produisaient le meilleur effet.
Les morceaux qui composaient le concert
étaient heureusement choisis. On commença
par l'ouverture de Guillaume Tell, ce sublime
opéra, le chef-d'œuvre du célèbre Rossini. Ce
morceau magnifique a été parfaitement exécuté
par les musiciens du 5e de lignela partie de
haut-bois jouée par M. Islas, a produit un mer
veilleux effet. La fantaisie sur le quatrième acte
de Lucie, arrangée par M. Islasa été exécutée
par les mêmes musiciens avec un ensemble et
une précision qui ne laissaient rien désirer.
On a surtout admiré la partie de cor piston
qui a été jouée avec une grâce et une perfection
admirables.
M. B*** a été vivement applaudi après le solo
de flûte qu'il a exécuté avec la plus grande
distinction nous le félicitons d'avoir eu le bon
goût de choisir une partie simple, amusante et
que tout le monde a entendue avec plaisir.
M"e a chanté avec une méthode rare et
une voix admirable un air de Lucie etun autre
du Pré aux Clercs. Nous ne trouvons pas de
mots capables d exprimer les sensations que
nous ont fait éprouver ces deux morceaux; dans
le premier, la pureté de la voix, l'expression du
chant, dans le second la grâce, la facilité de la
vocalisation, dans tous deux le sentiment de la
musique, le feu sacré de la poésie ont fait
sur tous les auditeurs la plus profonde impres
sion, traduite par des bravos et des applaudis
sements plusieurs fois répétés de la salle entière,
et cétait justice, carie talent accompagnant
une bonne œuvre est chose doublement noble
et grande.
Les musiciens du régiment de Lanciers ont
exécuté avec une rare précision un grand Pôl-
pourri de Robert le-Diablecomposé pour fan
fares, par leur habile chef de musique. Ils ont
parfaitement rendu tout ce qu'il y a de grave,
de solennel, d'infernal dans ce superbe opéra;
rien de plus magique, rien de plus impression
nable que ces trois voix de cuivre chantant sans
accompagnement le célèbre trio du troisième
acte nous félicitons également monsieur Steiti
et ses musiciens, du talent avec lequel l'Ouver
ture des Martyrs a été exécutée.
Enfin le concert a été dignement terminé par
un chœur chanté avec le plus grand ensemble
par les élèves de l'école régimentaire du 5e de
ligne c'est là une belle pensée que celle de
développer de bonne heure le sentiment musi
cal chez ces jeunes enfants peut-être s'en
trouve-t-il plus d'un parmi eux destiné deve
nir un jour un artiste distingué. Rien de plus
charmant que ces petits soldats au milieu d'ar
mes de guerre, chantant avec une voie douce et
enfantine les exploits des terribles Brigands
espagnols.
Cette soirée où l'on s'est amusé tout en faisant
une bonne action, laissera parmi nous une vive
impression.
Honneur aux officiers qui l'ont organisée
honneur nos concitoyens qui ont répondu
leur appel, honneur nos dames qui oui em
belli celle réunion de leur présence
Certaines circonstances, indépendantes de
leur volonté, ont empêché un bon nombre de
Messieurs les officiers de la garnison auxquels
s'étaient joints plusieurs jeunes gens de notre
ville, d'organiser leurs frais une partie dan
sante après le Concert de Dimanche dernier.
Cet empêchement, ils le regrettent d'autant
plus, qu'ils sont convaincus aujourd'hui, qu'ils
auraient réussi dans leurs intentions d'union
et de concorde, au-delà de leurs espérances.
Nous apprenons avec plaisir que ces Messieurs
se proposent de donner un bal par souscription
dans le courant de Janvier prochain, au profit
des pauvres. Nous engageons nos concitoyens
venir en aide celte bonne œuvre que nous
considérons comme un moyen de fraternité que
Messieurs les officiers de notre garnison ap
pellent de tous leurs vœux.
Feuilletoii.
U2 2 2 2 2
histoire d'une loge d'opéra.
Il y a un mois peu près, je rencontrai l'Opéra un ami d'en
fance que je n'avais certainement pas vu depuis quatre ou cinq ans.
A notre âge c'est beaucoup, et le cœur et le visage changent, le
visage surtout, s'il a été mis l'épreuve de différents climats aussi
désagréables les uns que les autres. C'était justement ce qui était
arrivé mon ami. Il avait voyagé, on peut le dire, par terre et par
mer, et avait habité deux aunées dans l'intérieur du Mexique, ce
qui fait que le soleil mexicain l'avait fort rudement basané. Aussi
j e me gardai hien de le reconnaître.
Il vint moi en me tendant la main. Je la lui serrai en me disant
Voilà un ami que je ne connais pas; mais comme le cas se rencon
tre souvent, et qu'un homme qui sait quelque peu son monde ne fait
pas la moindre attention ces petits détails, je pris un air souriant
en regardant mon interlocuteur, et je lui dis Bonjour donc il
y a bien longtemps que nous ne nous sommes vus. Je vous prie de
remarquer ici combien cette phrase était adroite je ne disais ni
vous ni toi.
Oui! oui, continua mon ami que je ne connaissais pas; il y a
quelques aunées, et je suis enchanté de voir que tu m'aies recounu.
Ma position devenait pénible. Il ajouta C'est une galanterie
d'ami d'enfance; charge de revanche, si tu voyages.
Comment lui avouer maintenant que je ne le reconnaissais pas
le moins du monde, et que je l'acceptais de confiance. Ma foi, le
droit chemin, dit-on, est le plus court et ie meilleur; aussi je lui
pris les deux mains, je les lui serrai avec une effusion croissante, et
je lui dis en riant Non, mon cher ami, je n'accepte pas tes com
pliments, car j'en suis complètement iudigne. Je suis sûr que je te
connais beaucoup, mais pour le quart d'heure je ne te reconnais pas
le moins du monde. A la bonne heure, tu es frauc; mais je
t'avoue que je suis cruellement mortifié; il paraît que le soleil
mexicain m'a horriblement défiguré. Tout le monde me fait le
même accueil. Décidément je ne conseille personne un voyage au
Mexique; ou en revient avec l'avantage d'être inconnu tousses
amis. Je ne veux pas te faire lauguir plus longtemps... Gaston de
Reyval. Oh! mou cher Gasion! m'écriai-je, je te demande bien
pardon pour mes yeux seulement, car le cœur n'est pas coupable.
Je ne veux pas te flatter mais le fait est que lu es un peu chaugé.
Un peu... beaucoup. Il paraît. J'espère que te voilà pour
longtemps auprès de nous? Gela dépend de notre ministre des
affaires étrangères il tient ma destinée et mes voyages dans sa main.
»-« II me semble quil en abuse singuliereueut, -« Ah ça, toi, tu
n'as jamais quitté Paris? A peu près. Tu as peut-être voyagé
S'-Cloud et Versailles? Non, franchement; j'ai été, ne t'en
déplaise, un peu plus loin. N'importe, dit Gaston en me prenant
par le bras, tu dois être ferré sur ton opéra A glace. Tu vas
alors me le faire connaître un peu. Beaucoup même mais je ne
te demande pas, en revanche, de me faire connaître le Mexique,
je ne suis nullement jaloux de la physionomie que tu en rapportes.
Plus lard tu feras de moi ce que lu voudras, un /ion, comme on
dit je n'ai pour aujourd hui qu'une question te faire.
Et il m'entraîna de vive force dans les couloirs. Vois-tu, mo
dit-il quelques instants après, celle jeune femme dans la troisième
loge après Pavant-scène Oui. La connais-tu? Certaine
ment. As-tu remarqué comme elle est pâle Depuis long
temps. Comme elle semble triste et souffrante Souffrante
par le cœur; oui. Quel est son nom?— La comtesse de Saint-
Géran. En arrivant, son visage si pâle m'a frappé je ne l'ai paa
quittée des yeux son visage est immobile comme s'il était de mar
bre pas un mouvement on dirait une statue assise. Tout l'heure,
quand ou a commencé le troisième acte, j'ai vu des larmes tomber
de ses yeux et, ce qui m'a paru étrange, c'est qu'elle ne semblait
pas s apercevoir qu 'elle pleurait et que ces deux larmes silencieuses
et isolées ont coulé lentement le long de ses joues, sans qu'elle eût
garde de les essuyer. Sa figure a conservé la même immobilité, im-