INTÉRIEUR.
5e ANNÉE. - N° 420.
DIMANCHE, 11 MAI 1845.
JOURNAL D'Y PRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Feuilleton.
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YPRES) le 10 Mal.
LES JÉSCITES ET L'ÉPOQUE.
La question qui résume en elle les intérêts
les plus vitaux de la société actuelle est sans nul
doule celle qui se rattache la résurrection de
l'ordre des jésuites. Chacun s'émeut la vue
des efforts que font les disciples de Loyola, pour
reconstruire l'édifice de leur grandeur passée.
Que 1 on consulte la presse des divers pays,
et l'on verra qu'il n'est pas un coin de la chré-
lienneté. où la réapparition du jésuitisme n'ait
soulevé de vives inquiétudes.
D'où nait cet état de choses? C'est que
l'expérience des temps a prouvé que l'esprit du
jésuitisme est considéré comme incompatible
avec les exigences de la liberté, sa morale com
me attentatoire la pureté native de la foi, son
action comme destructive de la paix publique.
L'histoire est là, pour justifier les craintes
des adversaires du jésuitisme l'endroit de ses
tendances liberticides, et des désordres que ses
doctrines peuvent introduire dans le sein de
l'église.
Essayons de jeter un coup d'oeil sur les faits
qui signalèrent jadis l'existence de cet ordre
jamais célèbre; il se présentera d'ailleurs dans
cet examen des faits dignes de remarque et dont
l apprécialion sera de nature nous éclairer sur
l'importance actuelle de l'ordre lui-mêmeet
sur les péripéties qui l'attendent dans l'avenir.
Fondé en 1540, il eut d'abord pour mission
de combattre les doctrines de Luther, et, il faut
avouer que si la société de Jésus ne parvint point
éteindre le schisme, qui, celle époque, agita
la chrétienneté entière, elle étaya du moins le
pouvoir chancelant de la cour de Rome, et
préserva de l'invasion des idées nouvelles une
partie de l'empire catholique. Mais habituée
se servir dans ses luttes de l'arme de la con
troverse, elle tourna bientôt les moyens d'ac
tion qu elle possédait contre la société elle-même,
et c'est alors qu'apparut celte foule de casuistes
qui. tronquant, mutilant les dogmes, se créè
rent une morale eux. dans des écrits où tout
est confondu avec un art calculé, l'honnête et
le dépravé, le vrai et le faux, lejuste et l'injuste,
et dont la lecture doit évidemment jeter le doule
dans l'esprit, et l'égarement dans le cœur.
Suivons la société dans ses développements,
jusque vers le milieu du 18e siècle. A cette
époque, au lieu d'un simple ordre monastique,
que voyons-nous apparaître? Un corps puissant
qui fait trembler les rois et les peuplesqui
étend, par ses affidés, son action occulte sur les
deux hémisphères, qui règne en souverain ar
bitre, des déserts de la Louisiane aux confins
de la Chine et du Japon; qui a un christianisme
part pour les sauvages de l'Amérique, un
christianisme pour les peuples de la vieille Asie,
un christianisme pour les grands un christia
nisme pour le vulgaire; qui possède, pour faire
mouvoir les ressorts puissants de sa vaste poli
tique, des trésors immenses.
Ce tableau peut paraître exagéré mais il ne
l'est pas, l'histoire est là, pour nous apprendre
qu'il est fidèle.
Voilà où en était parvenue la société d'Ignace
un siècle et demi après sa fondation voilà le
passé qu'elle a reconstruire aujourd hui. V
parviendra-t-elle?
Nous allons tâcher de répondre celle ques
tion et nous puiserons nos convictions dans la
constitution actuelle de l'ordre.
Un point qui ne doit échapper persoune
point sur lequel s'étendanl le plus complai-
samment les apologistes du jésuitisme, c'est
l'amour qu'il a toujours manifesté pour tout ce
qui se rapporte la culture de l'esprit; la société
de Jésus s'écrient ses panégirisles a produit
une foule d écrivains dont la célébrité n est pas
mise en doule, et a rendu par ses travaux d'im
menses services aux lettres. D'accord, mais
qu'est-ce que cela prouve? si ce n'est que la
société de Jésus a compris tout daboi d qu'élever
par la science ses membres au-dessus des autres
hommes, c'était s'assurer un puissant moyen
d action de plus, se ménager l'accès auprès des
grands, s'ouvrir, dans les palais, la carrière du
courtisan, prendre place dans le conseil des rois,
s'assurer enfin l'ascendant de la science sur
l'ignorance.
Consultez les biographies des R. P. Jésuites,
que de ministres, que de diplomates a que de
favoris des princes! Tout cela ne prouve-l-il
pas qu'une pensée éminemment politique pré
sida toujours aux travaux de la société? Celte
pensée qui ne fut autre que l'asservissement de
la société civile, par le pouvoir spirituel; les
jésuites étaient parvenus la réaliserlorsque
leur joug étant devenu trop lourdla raison
humaine se redressa, et compta avec ceux qui
lui avaient apporté la tyrannie, au nom d'un
Dieu qui a dit Mon joug est douxet mon
fardeau est léger.
Nous le répétons, c'est ce passé que la société
d'Ignace a pour mission de refaire aujourd'hui...
Qu'il y a loin cependant de la milice dont elle
dispose de nos jours, celle qui lui assura jadis
l'empire! Le combat est engagé, et déjà l'on
peut en pressentir l'issue. De quel côté sont
en effet le talent et la force morale qui en est
inséparable? Est-ce dans les rangs des disciples
d Ignace? Non certes accablés des traits
que leur lancent mille mains habiles, ils ne
trouvent presque, pour, répondre leurs adver
saires que la plume de quelques écrivains gagés
de la presse périodique.
Toutefois il ont déjà su s'attribuer Une partie
de la fortune publique; l'inventaire produit lors
du procès Affenaer est venu prouver que, sous
ce rapport, ils n'ont point dégénéré leurs pré
décesseurs, puisqu'une seule de leurs maisons,
celle de Paris, compte déjà plusieurs millions
dans ses coffres, mais l'argent seul ne peut suf
fire aux jésuites d'aujourd'hui, pour leur assurer
la victoire dans la lutte qu'ils ont engagé contre
le 19me siècle.
Après-demain Lundil'excellente musique
du 1er régiment des Cuirassiers, exécutera quel
ques morceaux de fanfares au Parc, de midi une
heure, si le temps le permet.
La cour de Cassation (chambre criminelle),
dans son audience de mardi, 6 courant, a re
jeté le pourvoi forme par la nommée Pélagie
Bail, âgée de 44 ans, épouse de Philippe Baelde,
domiciliée Ypres, condamnée la peine de
mort, par arrêt de la cour d'assises de la pro
vince de la Flandre occidentale, en date du 27
février 1843, pour avoir le 17 juillet 1844, em
poisonné sa servante, au moyen d'arsenic.
Il y avait onze moyens l'appui du pourvoi.
(jSiiifc.)
II. «—CHEZ LES BÉNÉDICTINES.
C'était le jour de la fête patronale dans le couvent des Bénédic
tines de la rue de Charonne. Les derniers coups de l'office vibraient
encore, les religieuses, rangées en ordre, le terminaient par une
procession qui faisait le tour de l'église et des jardins. La bannière
marchait en tète, portant d'un côté l'image de la Vierge, de l'autre
celle de saint Benoît. La file entière des sœurs semblait un seul être,
la tête voilée de noir, pour montrer l'austérité de ses pensées, le corps
couvert de laine brune, en signe de son renoncement au monde,
ayant pour voix le plein-chant aux notes claires et monotones, et
pour haleine l'encens qui s'exhalait vers la bannière la fois reine
et protectrice.
La procession parcourait des allées de tilleuls enlacées de guir
landes de chèvrefeuille, ou bien des parterres embaumés de violettes,
de narcisses, de tubeicuscs. A la suite dessœuis venaient les dames
pensionuaircs, portant le costume des postulantes, s'appelant entre
elles du nom de sœurs, mais libres encore de rentrer dans le inonde
ou de rester dans le couvent. Anne de Mantoue se trouvait dans le
nombre; ton front était chargé d'ennui, ses yeux battus par de
longues nuits d'insomnie; sou voile Uoltail au hasard, sa guimpe et sa
robe de laine brune étaient attachées sans soins et sans art. Elle
semblait une captive traînée péniblement la suite de ce cortège.
Après l'office, les sœurs se réunireut dans la salle de récréation.
Elles se livrèrent leurs amusemeuts accoutumés, se mirent faire
des pelotes, des niches pour les enfants Jésus, des petits paniers de
joncs, sous les yeux d'uu beau perroquet attentionné leur ouvrage.
Il s'entama des conversations édifiantes, particulièrement sur saint
Benoît dont on célébrait la fête, et qui avait fait, leur gré, un des
plus grands miracles opérés par les bienheureux. Un jour qu'en
priant il s'était agenouillé sur des chardons, ceux-ci se trouvèrent
changés en rosiers; et c'est depuis ce temps que cet arbuste fut connu
en Italie et se répaudit de là dans le reste de l'Europe. De leur pre
mière condition les roses conservèrent seulement les épines.
Pendant ce temps, la pauvre Aune restait triste et rêveuse. Elle
pensait ses espérances détruites, la fin de sa réclusion maintenant
si incertaine. Sans parents, sans protecteurs, la jeune fille avait mis
toute sa vie dans l'amour, et l'amour lui avait manqué.
Au milieu de ces sombres p« usées v el.te remarquait quelques jours
uue jeune femme arrivée récemment dans le monastère en qualité
de pensionnaire comme elle. Celte étrangère, ce qu'elle avait
observé, tenait autant quepos-oble son voile baissé, mais travers
le crêpe noir, avait constamment les yeux fixés sur elle, semblait
craindre de parler en sa piéseuce, et cependant cherchait tons les
moyens de s'approcher d'elle; tout l'heure encore, la procession,
elle était venue se placer ses côtés. Aime regardait elle-même cette
nouvelle venue avec un vif intérêt, parce qu'il lui semblait la con
naître déjà; le son de sa voix surtout pénétrait dansson âme; car si
elle l'avait déjà entendue, c'était sans doute dans un moment de vive
émotion, et le retour de cette voix la réveillait en elle.
Profitant du moment de liberté qui régnait, Anne de Mantoue
adressa pour la première foisla parole sa compagne elle lui
proposa de venir faire un tour de jardiu, et, lui prenant le bras, elle
sortit familièrement avec elle. Elles s'assirent ensemble dans un
cabinet de charmille ouvert en face du couvent; car dans oe séjour
de surveillance rigide, nul endroit ne devait se dérober aux regards
du monastère. Auue de Mantoue commença entretien.
Ma sœur, dit-elle, j'ai pris la liberté de regarder de côté dans
voire livre pendant la procession, vous teniez les pages l'envers.
Ma sœur, j'ai pris la liberté de regarder dans votre livre pendaut la
procession, vous lisiez les contes du gentil Voilure. C est vrai, dit
Anne en riant, j'ai volé ce moyen de distraction la règle de notre
saint ennui. Les occupations sont si monotones ici, qu on ne sait
comment passer le temps la journée est vide, car 1 esprit 1 aban
donne. Oh! c'est que vous nètes pas faite pour une semblable
existence. Voire beauté a besoin de l'espace du grand monde pour
épaudre ses rayons et appeler l'enthousiasme autour d'elle; votre
âme ardente a besoin du mouvement de la vie pour recueillir ses
joies et lutter avec ses tourmentes. Quoi ma sœur, vous me con
naissez doue? Quoi! madame, vous nè me reconnaissez pas? J*