JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
4e ANNEE. N° AU.
INTÉRIEUR.
JEUDI, 10 AVRIL 1843.
LADRE, - par Th. PIRONON, (Brux., Charles Hen,
in-18, 1844-3
On s'abonne Tprès Marché
au Beurre, et chez tous les per
cepteurs des postes du royaume.
PRIX DE L'ABONNEMENT,
pir trimestre.
Pour Y prèsfr. 5-00
Pour les autres localités 6-00
Prix d'un numéro 0-35
- -L
Tout ce qui concerne la ré
daction doit être adressé,franco,
i l'éditeur du journal, Ypres.
L» Progrès parait le Dimanche
et le Jeudi de chaque semaine.
PRIX DES INSERTIONS.
Quinze centimes par ligue.
YPRES, le 9 Avril.
Quinze ans après avoir fait une révolution,
la France et la Belgique, quoique parties d'un
principe opposé, sont arrivées une situation
politique qui n'est point sans quelque analogie.
En France, la révolution s'est faite en 1830,
contre les jésuites et contre le clergé qui mar
chaient hautement la domination politique et
voulaienl,commeledisaienlalorsénergiquement
leurs acolytes, placer l'autel sur le trône. Elle a
cependant balayé ces misérables ennemis de la
liberté des peuples, et le lendemain des trois
journées, aucun ne voulait se reconnaître jésuite
de robe courteni partisan du pouvoir déchu
ils s'appliquaient eux-mêmes, comme toujours,
l'inexorable: Vœ victis!
La Belgique a pris un point de départ tout
autre. Cesl conlre un pouvoir libéral que notre
révolution s'e-t faite. Elle avait pour ses plus
chauds partisans, le clergé qui cependant ca
chait alors sa bannière. Elle s'est faite au nom
de la liberté en tout et pour tous; les jésuites
se doutaient bien qu iI fallait pour réussir, ex
ploiter les sentiments généreux de la nation, et
tenaient pour certain que s'ils avaient dû afficher
celte époque les prétentions qu'on manifeste
ouvertement maintenant, personne ne se serait
remué. Après une lutte qui n'est pas sans impor
tance pour l'avenir, le parti jésuitique est par
venu saisir toutes les avenues du pouvoir et
tyranniser les consciences, grief qu'on repro
chait avec tant d'amertume l'ancien gouver
nement.
En Fiance, nous voyons la lutte assoupie
depuis 1830 entre le clergé uni aux jésuites et
le pouvoir temporel entre le parti du droit divin,
le principe du libre examen se réveiller avec
plus d'acrelé que jamais. On ne se contente plus
de demander grands cris la libertéd'enseiyne-
Fciiillcton.
Voici en quels termes s'exprime la Revue de
Liège sur le dernier roman de Th. Pironon,dans sa
livraison du i5 mars. Nous sommes persuadés que
ceux de nos lecteurs qui ont accordé leurs sympa
thies noire compatriote 11e liront pas ce compte-
rendu sans quelque intérêt.
Mf Pironon vient de publier un nouveau roman, dont le genre est
tout différent du premier; Dona Violeta était presqu'eff rayante par
la violence de ses passions; Lame est au contraire une jeune fille
séduisante par ses grâces et Sa beauté, mais dont la faiblesse est
exagérée: les femmes les plus douces ne portent pas ce point l'ab
négation de toute volonté propre. Laure est aimée d'Armand de
Meilleiaie, jeune homme dont la fortune et la position dans le
monde font un parti très-désirable aux yeux des parents ceux-ci
l'accueillent avec empressement et la jeune fille flattée du senti
ment qu'elle inspire, ne le repousse pas non plus. Mais bientôt est
présenté chez elle un jeune peintre nommé Marcel revenu au pays,
après un long voyage. Ancien camarade d'études d'Armand, il
réunit toutesles qualités qui manquent celui-ci, dont les avantages
11e sont qu'extérieurs. Le rapprochement de ces deux hommes si
ment comme en Belgique, on s'attaque aux lois
existantes. On révendique hautement le droit
d'enseigner publiquement sans entraves, il est
vrai qu'on ne l'a pas encore obtenu. Le haut clergé
s'en prend au concordat, aux articles orga
niques; il conteste le droit d'appel, comme
d'abus et dans son orgueil insensédéclare
qu'une condamnation ne peut pas l'atteindre.
Enfin il paraît prendre tâche de se poser en
faction au milieu de .lelat français, dont le
gouvernement notre avis semble mépriser
trop ces menées, et ne pas mettre assez d'em
pressement les réprimer.
Mais la France trouvera dans ses anciennes
luttes avec les papes, des principes et des anté
cédents qui lui permettront de lutter avec succès
contre la fureur ultramonlaine qui paraît s'être
emparée des évêques français. La déclaration de
1682 n'est point oubliée, et tous les hommes
sincèrement dévoués la religion se hâteront
de se ranger sous cette bannière, et répudieront
l'esprit jésuitique, qui, menace de soulever de
nouveaux orages dans tous les pays où il peut
pénétrer.
Dans notre pays nous n'avons pas ces tradi
tions, pour combattre l'atmosphère méphitique
du jésuitisme qui nous entoure Cependant au
16me siècle une lutte Irè&.vive exista entre 1 uni
versité de Louvain et les jésuites qui venaient
de prendre pied en Belgique. L'issue ne leur
fut pas tout-à-fait favorable, mais, suivant leur
habitude, ils attendirent du temps loccasion
d'étendre leur influence, qui cependant fut
toujours combattue par le clergé séculier, peu
imbu de l'esprit ultramontain celte époque.
Les gouvernements absolus sont loin d'être
aussi dépourvus de moyens de défense conlre
les empiétements du pouvoir spirituel que les
pays constitutionnels. Aucune bulle papale ni
pièce quelconque émanée de la Cour romaine
ne peuvent être rendues publiques, sans l'au-
différents fournit l'auteur plus d'un contraste piquant dont il
profite pour mettre ses caractères en relief. Laure distingue bientôt
Marcel, s'attache lui, et ne sachant pas dissimuler les impressions
qu'elle reçoit, le laisse aisémeut apercevoir-, cependant, sans cher
cher faire de la coquetterie, elle flotte souvent in écise et ne se
rend pas bien compte de ce qui se passe dans son cœur. Subjugée
par la supériorité de Marcel, c'est vers lui qu'elle se sent réellement
entraînée, cependant il y a des moments où elle semble aimer la
fois ses deux prétendants: aussi ne se presse-t-elle pas d ôter toute
espérance au premier, senlement, sous prétexte de vouloir le con
naître davantage, elle ajourne toujours sou mariage. Armand,
quoiqu'assez fat, est éclairé par la jalousie, et se doute Lien que son
ami est le seul obstacle qui retarde son bouheur; il demande
Laure une explication le soir, sans témoins, dans le jardin lorsque
chacun sera retiré. Elle y consent après quelqu'hésitaliou la démar
che est un peu hasardée aussi l'innocence reçoit-elle ià une terrible
leçon. Armand a finfamie de chercher tenuiuer les irrésolutions
de la femme qu'il aime eu la flétrissant; et, ce que l'on comprend
moins encore, elle est sur le point de faillir, lorsque Marcel, qui les
a suivis dans l'ombre, paraît et la sauve du péril. Cette intervention
toutefois ne parvient pas rappeler sur elle l'intérêt qu'elle avait
d'abord inspiré. M. Pi»oiion agence tous ces détails assez sca
breux avec beaucoup d'adresse, on peut même dire avec la conve
nance dont le sujet est susceptible; mats tout son talent ne peut
empêcher qu'on ne soit plus qu'étonné de voir line femme d'une
torisation des gouvernements absolus qui d'un
autre coté sont parvenus maintenir l'exten
sion des ordres monastiques dans de justes
bornes, extension qui menace de la mendicité
monacale organisée les peuples qui jouissent de
la liberté d association.
Le point de contact entre la situation po
litique de la Belgique et celle de la France est
la lutte que soutient le pouvoir temporel contre
le clergé dans les deux pays On en est venu
s'emparer de l'amour des peuples pour la liberté,
pour les faire tourner contre les idées sainement
libérales. Les ennemis les plus violents de
l'émancipation des nations se sont fait les trom
pettes d'une liberté sans limites, afin de faire
rétrograder les peuples par l'anarchie qu'un
régime sans garantie pouvait amener.
La grande nation française, qui trouve dans
son histoire des exemples de luttes de ce genre,
triomphera, il faut l'espérer, de ces ennemis
dont on devait croire que 1830 l'avait débar
rassée tout jamais. Mais la Belgique subira-
t-elle longtemps ce régime de plomb qui énerve
les facultés les plus généreuses de la nation?
Dans notre conslitulionon peut trouver les
moyens de porter remède ces maux qui
s'étendront de jour en jour. C'est par les élec
tions qu'il faut lâcher de regénérer le pouvoir
et nous espérons que le pays ne faillira pas la
tâche qu'on attend de lui au mois de juin pro
chain.
Nous engageons nos lecteurs jeter les veux
sur les nouvelles de Suisse, afin qu'ils puissent
apprécier la douceur du régime jésuitique.
Massacres, guerre civile, prescriptions, confis
cations, 1 état de Lucerne 11e se refuse rien, pour
pouvoir jouir du bonheur de posséder des ré
vérends Pères jésuites. On pourra du moins
dire que l'intrusion des jésuites Lucerne a
coûté de la peine et du sang, et s'ils parviennent
nature si distinguée prêle s'oublier pour un hoomic qu elle n'aime
pas; tandis que son cœur est Marcel..Là, selon nous, M. Pironon
cesse d être vrai, et la magie de son style ne va pas jusqu'à faire
accepter sans protestations un pareil laisser-aller. Laure revenue
elle, se livre au désespoir. Elle veut mêrue se précipiter dans
l'Adour. Marcel est encore là pour la sauver, alors elle lui avoue
son amour, tout en refusant de l'épouser parcequ'elle s'estime in
digne de lui et déclare que ne pouvant lui appartenir elle ne sera
jamais personne.
Apiès ce qui s'est passé, un duel était inévitable entre Marcel et
Armand; le capitaine Monlbrun qui a toujours veillé sur la jeunesse
de ce dernier avec une sollicitude paternelle, se propose pour témoin,
mais lorsque les jeunes rivaux sout en présence, il les empêche de se
battre en leur déclarant qu'ils sout frères. Cet incident paraît
d'abord un peu étrange: l'histoire du capitaine Nloutbrun qui est
leur père, éolaircil tout cela il la raconte par écrit ses enfants,
afin de n'avoir pas rougir devant eux des erreurs qu'il faut leur
confesser. Remarquons encore ici que le sentiment des convenances
n'abandonne jamais M. Pironon: clans les situations les plus déli
cates, il sait les respecter alors même qu'il semble près de les oublier.
Transcrivons ici le portrait du capitaine Monlbrun
>1 C'était un de ces hommes dont le visage ravagé par des pas-
sious désordonnées conserve fidèlement 1 empreinte des agitations
dont leur existence a été marquée. Ses traits, d'une extrême mo-
bililé, étaient profondément caractérisés et brûlés par le soleil des