Philippe de Gomines.
Le 14 Octobre
a Ypres,
L'électorat communal.
Les
14 et 21 Octobre I
Le parli clérical
iournani au socialisme.
Ypees, le 2 Novembre 1894.
'Comme chacun sait, nous sommes
adpninistrés, a l'heure qu'ii est, par des
coiseillers communaux dont la rnoitié
aurait du être soumis a réélection de
puss un an. Mais lesChambres out jugé,
avec raison, qu'après la revision de
l'article 47, il ne convenait plus de
contier le choix des conseillers commu
naux aux censitaires et aux capacitai-
res qui enétaient, autrefois, en exclu
sive possession.
Seulement, nos zélés législateurs
n'ont pas trouvé le temps, au milieu de
leurs absorbantes occupations, denous
doter d'une loi communale nouvelle,
lis ont jugé plus simple de prolonger
de deux ans le mandat des conseillers
actuellement en fonctions, et de laisser
a leurs successeurs le soin de voter no-
tre nouveau code électoral pour la
commune.
II semblait, aux gens de quelque bon
sens, que la dissolution des Ghambres
dut fournir au gouvernement l'occa-
sion toute naturelle de s'expliquer sur
un sujet de pareiile importance. Mais
les gens de bon sens ne comprennent
rien aux nécessités d'un gouvernement
clérical, ni aux preoccupations d'un
premier ministre cherchant, par tous
les moyens possibles, a conserver un
siège de député que ses électeurs ne
veulent pas lui rendre.
A défaut du gouvernement, les mê-
mes gens de bon sens, toujours plein
d'illusions, s'imaginaient qu'au moins
les candidats quémandant leurs suffra
ges se donneraient la peine de faire
connaitre leurs intentions. Mais tandis
que tous les candidats démocrates et la
plupart des Candida!s libéraux procla-
maient leur ferme decision de voter,
pour la commune et la province, le
suffrage universel pur et simple, nos
bons cléricaux ripostaient a tue-fête
Keligion, Familie, Propriété ce
qui sonnait mieux et dispensait ceux
d'entre eux qui avaient des idéés, de
faire l'effórt d'esprit nécessaire pour
les développer et pour les faire accep
ter sans répugnance. Ces messieurs
eussentjugé leur élection trop com
promise s'ils avaient laissé perc-er leurs
intentions réactionnaires et, recon-
naissons-le, ils n'ont pas eu le cynisme
de faire des promesses qu'iis eussent
dix laisser protester a trop bref délai,
quand elles se fussent encore étalées
en grandes lettres sur tous les murs.
Quoiqu'il en soit, quel que soit. le
projet qui mijote dans les marmites du
ministère, les démocrates de toute
nuance n'ont pas attendu que MDe-
burlet sortit de son mutisme (qui dure
encore), avant de prêcher la bonne pa
role, avant de répandre dans le peuple
l'idée du suffrage universel pur et sim
ple (un hom me, un vote) pour tous les
Eelges agés de 21 ans et afin de don-
ner a la représentation des citoyens
toutce qu'elie doit c-ontenir de justice
et d'équité, ils veulent que Ia domina
tion du nombre soit corrigéè, en ce
qu'elie a de trop brutal, par la repré
sentation proportioneel le.
L'idée, répandue dans tout le pays
par la parole et par la presse, a si bien
fait son chemin qu'il doit paraitre dan-
gereux de la heurter de front et ö'est
peut-être ce qni arrête nos maitres,
qui voudraient bien, mais n'osent pas
étrangler le suffrage universel que,
sous la poussée populaire, ils ont du
accepter pour les Ghambres, et qu'iis
ont compliqué du vote plural.
Suffrage universel pur et simple a
21 ans et représentation proportionnel-
le, voila ce que tous les démocrates ré-
clament pour la province et la com
mune. Nous ferons valoir dans notre
prochain numéro las motifs de justice
qui déterminent leur opinion. En at
tendant, M. Deburlet, chef' de cabinet,
député dégommé de Nivelles et dan
seur de la cour, est prié de s'expliquer.
II doit être remis de ses émotions et
des efforts qu'il a faits pour se cram-
ponner au rond-de cuir ministériel.
MM. nos deputes attendant son mot
d'ordre, et leüf's électeurs voudraient
pouvoxr se déféndre contre ce que l'on
projette pour les décimer.
1
Nos élections legislatives ont assure
dans notre arrondissement une inajo-
rité imposante a nos cléricaux. Ge
résultat, nous l'avions prévu L'arron-
dissemeut, depuis vingt aos, se trouve
abandonné, sans controle, a nos adver-
saires.
Grace a l'influence du clergé qui n'a
pas hésité a sortir de sa mission pour
se jeter complètement dans la mêlef
des partis, la réaction s'est fortifiée
dans bien des locahtés,
Une veritable terreur domme nos
pauvres campagnards, qui ont a redou-
ter et la vengeance de leur curé et ct 11e
de leur Seigneur
Malgré les conditions déplorabies
dans lesquelles nous entreprenions la
lutte, malgré la défectuosité-des listes
électorales dans bien des communes, le
parti libéral est parvenu a rétmir prés
de dix mille suffrages.
Partout oü des meetings ont pu être
organisés, l'accueil a éte des plu3 sym-
pathiques.
Avec de la persévérance et une meil-
leure organisation nous pourrons, nous
en sommes convaincus, abontir sous
peu a d'excellents result ats.
Par contre, si 1'arrondissement nous
a réservé des déceptions, le corps élec
toral Yprois a fait courageusement son
devoir 11 a term a flétrir ia conduite
de nos maitres qui se sont accaparés de
notre hotel-de-ville par les moyens que
tous connaïssent.
Nos candidats libéraux, d'après des
calculs sérieux qui ont été faits, ont.
obtenu en ville une majonté de plus
de 500 voix.
G'est d'un excellent augure pour nos
elections communales prochaines
Libéraux Gourage L'heure de la
délivrance est proche
La politique beige enregistrera les 14
et 21 Octobre parmi les dates rnémo-
rables de son histoire.
11 a suffi d'un laps de temps de huifc
jours pour anéanür bien des espérances
et accumuler bien des déceptions
Autant l'élan du suffrage universel
avait été sincere au 14, autant la con
sultation populaire a été fanssée et
dénaturée au 21
Usant partout d'une pression élec-
torale éhontéè, utilisant les moyens les
plus viis, la réaction a repris le dessus,
compromettant pour deux années en
core les destinées de la patrie.
La presse cléricale, dans tous les
coins du pays, exalte la victoiro de son
parti.
Les mines piteuses que tiraient nos
cléricaux au 15 Octobre se sont subite-
ment iilüminées
A Ypres, a Tourna,i, comme partout
ailleurs, les cloches des temples catho-
liques sonnent le glas funèbre du parti
libéral. Les églises, édiüées pour le re-
cueillement et l'adoration, ouvrent
leurs portes aux manifestations les
plus bruyantes 1 De toutes parts on en-
tonne le de profundis du parti libéral
Pour ceux qui. ne se laissent point
berner par de trompeuses illusions, il
y a dans toutes ces démonstrations
plus de jactance que de sincérité.
Le parti libéral est loin d'être mort
La majorite cléricale, toute puissan-
te qu'elie soit, est factice
Elle repose sur les injustices du s'ys-
tème majoritaire
Les chiff'res ont démontré que la ma-
jorité réelle du pays est anti cléricale.
Le clérical isme beneficie done au-
jourd'hui d'une situation qui est des-
tinée a disparaitre
Les succè3 imprévus des socialistes
ont pu égarer pour quelques instants
certains timorés.
Le calme ne tardera pas a se rétablir
et viendra réorganiser les forces libé-
rales un moment désorientées.
Le suffrage universel, dès sa pre
miere manifestation a su mettre le mi
nistère en échec dans deux ans il
saura le culbuter.
L'avenir est aux anticlérïcaux
Lecteurs, appréciez vous-mêmes
hes cléricaux ont obtenu 5,633,133 voix
Les libéraux r 4,712,885
et les socialistes 2,256,802
Or, l'on sail que les trois partis ont rcspec-
tivement conquis ii Ia Chambre le nombre de
sièges suivant
Les cléricaux, (abstraction faite du siège de
51. l'Kini de Hoodenbeke, u sans lutte ii
Eecioo) 103 sièges
Les libéraux 20
et les socialistes 28
II résulle de la Comparaison de ces chiffres,
que les cléricaux, bieu que n'ayant recueilli
que 921,248 suffrages de plus que les libéraux.
cest-a-dirc au sixièaie (5,633,133 contre
4,712,885), obtiennent cinq fois plus de sièges
(103 contre 20).
De leur cöté les socialistes, en réunissanta
peine la rnoitié du nombre des voix libérales
(2,256,802 contre 4,712,885) conquièreut prés
d'une moitté de sièges en plus (28 contre 20).
Ce! i ne montre-t-il pas l'iniquité odiettse du
svstènie des circonscriptions électorales cn vi-
guettr? Comment qualifier aulrement tin régi
me qui rend possibles les equations absurdes
que yóici
5,633,133 suffrages '103 sièges.
4,7-12,885 id. 20 id.
2,256,802 id. 28 id.
De ces chiffres se dégage une autre constata-
tion, '"est que le pays s'est prouoncé contre le
gouvernement clérical.
L'opposition (libéraux et socialistes réunis) a
obtenu 6,969,687 voix.
Tandis que les cléricaux n'en
ont réüni que 5,633/133
Soit de plus 1,336,554 voix.
Ceux qui se sont occupés des élec
tions du 14 Octobre dernier, savent a
quelies calomnies le parti clérical aeu
recours pour dénigrer nos candidats
libéraux. Ils les out. fait passer pour
des gnuemis de la familie, de ia pro
priété, de la religion, leur prêtant
même l'intention de vouloir le renver-
sement de notre organisme social.
Los gens sensés ont haussé les épau-
les, les faibles d'esprit se sont laissés
prendre a cette tactique de mauvaise
guerre.
Le parti libéral, même dans ses élé-
ments les plus avancés, restera tou-
jours le défenseur de Ja propriété indi-
vidueile. Hostile au collectivisme, dans
iequel ii ne voit du reste, pour ie mo
ment, qu'un périi imaginaire, il ne se
laissera point détourner de sa Veritable
mission par les déclamatious menson-
gères de ses adversaires Ses efforts
tendront toujours et avant tout a
combattre le cléricaïisme, qui est Ie
seul, le véritable danger qui menace
le pays.
A coux qui nous reprochent d'avoir
mscrit dans notre programme bien des
réformes qui so trouvent au program
me du parti ouvrier, notre réponse est
aisée Le parti libéral ne s'est jamais
incliné devant aucun dogme
Le libéralisme abandonee autant
que possible i'individu a lui-même, a
ses seules forces. O'est a I'individu a
choisir son travail, son mode de travail
et a en débattre les conditions.: prix,
dürée, etc...
Le collectivisme, au contraire, sub-
ordonne complètement I'individu a
l'Etat. L'Etat remplace et détruit I'in
dividu.
Est-ce a dire que le libéralisme re
pousse toute intervention de l'Etat
Qu'ii ne congoive l'Etat que comme
une sorte de gendarme
Evidemment non. L'Etat, dans la
doctrine libérale, peut et doit se char
ger de certains services réclamés par
des besoins universels. L'Etat est un
pouvoir tutélaire qui doit- venir com
pléter I'individu la oü l'impuissance
rndividuelle a été démontrée par les
faits.
Telle est la doctrine libérale, telle
est ceile dont notre parti ne s'écartera
jamais
Ceux done qui ont agité le spectre
rouge en parlant de nos candidats nous
ont calomniés'.
Nos sympathies sont acquises a la
classe ouvrière, nous marcherons avec
elle pour la conquête de la plupart
des réformes qu'elie réclame
Mais du jour oü le grand principe
de la liberté se trouvera menacé, le
parti libéral saura prendre attitude
pour le défendre.
Telle est la réponse que nous avons
cru devoir donner a nos adversaires
cléricaux qui nous ont traités de soci
alistes.
A notre tour nous pourrions agiter
le spectre rouge en parlant d'eux.
Lecteurs, vous pourrez en juger.
A eet eft'et, nous códons la parole,
non pas a Henrietje, dontl'opimon n'a
raalheureusement pas encore été re-
cueiilie jusqn'aujonrd'hui par les jour-
na ux, mais a M. Théodor, nouveau
député catholique de Bruxelles.
Voici un extrait de Vinterview au-
quel l'a soumis un des rédacteurs de
la Gazette
11 est certain, dit M. Theodor, qu'il
y a un mouvement irresistible do re-
veudicatious. On a dit que les ouvriers
avaient vote pour les socialistes, paree
qu'on leur promettait de leur faire ga-
gner dix francs par jour. Oela n'est pas
vrai J'ai assisté a beaucoup de mee
tings socialistes; je n'ai jamais entendu
dire de ces fariboles. On leur a expli-
quó scientifiquement ce que l'on veut
faire pour eux. Les socialistes, dans
leurs discussions, sont, dn reste, tres
dignes.
Mais, monsieur le député, vous
parlez comme un socialiste.
Oh! le mot ne m'eff'raie pas, s'il si-
gniffe intervention de l'Etat dans les
transactions privées. Je-suis un démo-
crate, mais je suis un anticollectiviste.
La liberté telle que nous Ta donnée 89
estdevenue cad|Sque. La liberté de la
concurrence, puis l'associatiön des
capitauxavecl'anonymat, onttué l'ou-
vrier.
La liberté de la concurrence force le
patron a gratter sur les salaires et a
exiger de l'ouvrier un travail surhu-
main, et l'association des capitaux a
détruit ie lien entre le patron et l'ou
vrier. Le résultat est la lutte entre l'ou
vrier et l'actionnaire. Cette situation
ne peut pas durer, sous peine de revo
lution.
Et quels sont vos remèdes
D'abord la personnification civile
des syndicats, qui permettra a l'ou
vrier de trailer d'égal a égal avec le
capital. Puis je crois que la loi doit in-
tervemrpour fixer un minimum de sa-
laire et un maximum d'heures de tra
vail. Dans cette fixation, les syndicats
auront a interveuir.
Voila mes principes. Quant a leur
application, je ne puis pas encore dire
cequeje ferai, mais si uti projet les
appliquant est présenté a la Chambre,
de quelquè cöté qu'il vienne, je le sou-
tieudrai.
En résumé, je ne veux pas qu'on sup-
pri-me la concurrence, qu'on détruise,
comme. le collectivisme le ferait, l'ini-
tiative privée ni la propriété qui fait
la marche en avant des sociétés. Mais
tont en les maintenant, il faut que
l'Etat intervienne pour empêcher les
abus de la liberté et de la propriété.
Quels sont, Monsieur le député,
questionuons-nous, les projets précis
de vous et de vos amis
Nous avons tout un ensemble de
réformes que nous voulons réaliser
pour les invalides et les vétérans du
travail, pour les travailléurs atteints
par le chömage. Quant a l'enfant, nous
croyons que notre enseignement est a
refaire, qu'il faut développer i'ensei-
gnemant professionnel et s'occuper
uu peu plus de l'éducation.
Daus eet ensemble de réformes dont
je suis partisan, je comprends aussi une
loi supprimant le droit de licence et in-
stituant, par exemple, le monopole des
alcools pour l'Etat..
Et en ce qui concerne la loi élec-
torale communale
Je n'ai pas de projet bien précis,
rnais j'estime qn'en tous cas il ne faut
pas pour la commune un droit électo
ral plus restreint que pour la Chambre.
11 faut au moins le vote plural. Seule
ment, il faudra trouver une combinai-
son qui sauvegarde les finances commu
nales contre les surprises du suffrage
universel, la consultation des contnbu-
ables, par exemple, et aussi la repré
sentation proportionnelle, plus néces
saire sur le terrain communal que
partout ailleurs.
Mais, monsieur le député, ques-
tionnons-nous encore, croyez-vous que
les catholiques soient, sur tout ce dont
vous me parlez, d'accord avec vous
Sur les points essentiels, et a part
des nuances, oui.
Autre chose croyez-vous que les
socialistes puisseut gagner du terrain
encore a la Chambre
Je suis, me répond sans hésiter M.
Théodor, convaincu que les socialistes
doubleront leurs forces tout de suite,
si les dirigeants ne comprennent pas
qu'il faut entrer résolüment et fran-
chement dans la voie des réformes dé-
mocratiques. Le mouvement socialiste
est formidable, mais si l'on veut faire
des réformes, il sera vaincu.
V