La Vierge- Mére dans la Nativité
de Memlinc
LE MYSTERE
DE NOËL
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SAMEDI 23 DECEMBRE 1939
HEBDOMADAIRE
92me ANNEE No 5»
par
Dom Romuald VAN WESEL
La liturgie de Noël est imprégnée de joie.
L'optimisme qui se manifeste tout au long
fo cycle liturgique semble atteindre son apo-
pe en ce jour. Réjouissons-nous donc, sui-
rant la parole de St Léon, sans prendre gar
ée aux tristesses de not-e temps car il n'y
a point de place pour l'affliction l'apnari-
rion d'une vie qui, détruisant la crainte de la
mort, nous réjouit par la promesse de la vie
éternelle (1) Toutes les générations chré
tiennes, au cours des siècles l'ont si bien sen
ti que Noël est devenu synonyme de réjouis
sance mais hélas pour beaucoup d'in
croyants cette fête n'est plus qu'une nuit de
réveillon et de dissipation où l'on s'amu
se l'affolement du plaisir ayant remplacé
la joie sereine que procure la participation
u mystère de ce jour.
Si l'on veut bien comprendre ce que re
présente pour un chrétien, pour un baptisé
cette fête de la naissance du Sauveur, il faut
nécessairement recourir la liturgie, ces
textes anciens, vénérables et charmants où la
sainte Eglise apprend ses enfants combien
Dieu les aime puisqu'il leur donne son Fils
Unique. Ce sont eux qui nous introduiront
dans ce mystère qui réjouit l'Eglise depuis
dix-neuf cents ans.
A parcourir rapidement les textes de la
liturgie de Noël, on pourrait croire que
l'Eglise veut seulement commémorer la nais
sance de Jésus Bethléem. Elle y revient en
effet avec une insistance qui ne s'interrompt
pas. Le titre officiel de la fête est lui-même
déjà une affirmation catégorique In Na-
tivitate Domini, en la naissance du Sei
gneur Puis tout au long de l'office nous
rencontrons de nombreuses allusions Ma
tines, le refrain de l'Invitatoire Le Christ
est né pour nous, venez adorons-Le
I hymne Jesu Redemptor omnium tout
entière consacrée chanter cette naissance,
la proclamer digne de toute louange cause
du jour de votre naissance les répons de
Matines Voici qu'aujourd'hui le Roi des
«eux est né de la Vierge et surtout cette
messe de minuit, l'heure même de la nais
sance du Christ, avec son Evangile si tou
chant, ce récit de la naissance dans la pau
Tteté et l'abandon.
Il semble pourtant qu'au delà de l'événe
ment accompli Bethléem la Sainte Eglise
vm atteindre autre chose. Un mot sur l'ori-
g'ne de la solennité va nous éclaircir le pro
blème.
Tout d'abord le 25 décembre est-il vrai
ment 1 anniversaire de la naissance du Sau-
'jUr Question bien difficile résoudre.
V a-t-il donc pas eu au cours des temps
j^e tradition fixe ce sujet Hélas non,
premiers chrétiens n'avaient pas nos eu-
par LOUIS BEYAERT
nous, des sources d'amour.
«usités et ce n'est que vers le IVme siècle
?Ue 'on a songé cette date. Il n'a jamais
(te question du 25 décembre avant cette épo-
ce sont d'autres motifs que l'histoire
lui ont donné son importance,
n sait en effet que le IVme siècle vit un
'angement complet dans les conditions
existence de l'Eglise. C'est le siècle de la
2lx constantinienne. de la fin des persécu-
°ns' entrée de l'Eglise dans une ère de
tospérité inconnue jusqu'alors. Pour autant
on Peut saisir cette évolution, le culte
JV'Ut a ce moment un éclat tel qu'on n'en
7'* Jamais connu auparavant. Des histo-
consciencieux fixent cette époque
1 2e nocturne de la të*e
(Voir suite en page Z)
Noël premier jalon du Cycle Liturgi
que
Tandis que la lit érature de l'Eglise en
commente et en chante le Souvenir, l'Art
Chrétien, en illustre les fastes, et fixe, en
le matérialisant, le carac ère des personna
ges qui s'y meuvent. Sans doute le Christ en
demeure le centre et l'objet cependant que
nous nous arrêtons moins longuement de
vant les traits, trop peu définis encore, du
Nouveau-Né pour nous attarder devant ceux
de la Mère, source et prototype spirituali-
sés de toute perfection humaine.
Sans doute, sera-ce toujours l'Art de la
Grèce que nous demanderons de nous ins
truire des hautes disciplines ouvrant l'esprit
et les yeux au sens et aux formes de la
Beauté, encore que ses déesses de Paros ne
trouvent pas le chemin de notre cœur.
Ces' que, perfection géométrique, équi
libre suprême et beauté formelle sans éga
le, elles ne sont pas de notre sang, ni bap
tisées-
Seul l'Art Chrétien, en dépit des naïvetés
et des tâ onnements de ses premiers essais,
nous fait cependant retrouver, devant ses
images de Marie, la divine enfance du
cœur que Renan s'obstinait en vain
cueillir sur l'Acropole et qui nous lie d'a
mour avec Elle dès une première rencon
tre-
Pas plus que Praxitèle et Phidias n'a
vaient vu leur modèles, les maîtres chré iens
ne s'étaient trouvés face face, dans sa
réalité objective et vivante, avec le leur.
Seule, une con emplation in érieure, soute
nue par l'élan de la prière et un sens chré
tiennement humain, permit ceux-ci de
rejoindre une expression et une forme ap
propriées. Aussi bien, pour qu'elle nous
atteigne avec plus de sûreté, sont-ils par
tis sa découverte, dans les milieux fami
liers de la vie.
Douce chose des âges passés et venir,
Negotium Seculorum leurs représen
tations de Marie portent, dès le moyen
âge, et la piremière renaissance occiden
taie, le sceau du siècle, l'empreinte de la
race et du pays qui la vénèrent.
Ils lui prêtent de plus un sourire, une
tendresse, une sérénité parfois et, souvent
une douceur, capables de desceller en
C'est dans le Cycle des Nativités du
XVème siècle surtout, que l'expression de
Marie 3 apparen e le mieux celle de la
Marnai penchée sur notre berceau. Aux
d'-sses lointaines et abstraites ainsi qu'a
l'Eve an ique il oppose, non seulement,
la nouvelle Eve, mais la Mère, la Sœur, la
Fiancée et l'Epouse
Dès lors, nous voici devant la femme
transfigurée demeurant, encore aujour
d'hui pour nous, la Dame comme elle
le fût, jadis, pour le manant lui offrant
sa prière travers les fleurs de son lopin
de terre, autant que pour le haut baron ou
chevalier, emportant ses reliques sous le
bro srne e le haubert ou gravant son nom
sur la gaine d'une épée, qui n'en frappai!
pas moins sûrement d'estoc et de taille
En marge de 1 Evangile traduit dans
une langue que nous comprenons bien
puisqu'elle est nôtre, la ligne de la Tige-
Vierge, qui a produit la Fleur, s'es adap
tée notre vision personnelle, s'est pliée
notre esprit national, et demeure bercée
aux souffles de nos climats.
Aussi, nous pouvons suivre, grâce elle,
dans la suite de ses variations provinciales
et locales, travers les goûts, mêmes et
les modes du jour auxquels tout jusqu au
type humain, se conforme ici, les multi
ples aspects et les expressions de la beauté
féminine.
Il n'est pas jusqu'au caractère régio
nal et folklorique des soins entourant de
leur sollicitude l'accouchée et le berceau
de l'enfant que, dans maints panneaux,
nous ne trouveront traduits.
Réalisme pieux, rapprochait l'humani
té de Marie de la nôtre et qui nous per
met, la connaissan' mieux, de l'aimer da
vantage et de l'admirer avec une plus
consciente ferveur.
L'Allemagne vous prêtait, 0 Vierge, le
front bombé, les yeux de myosotis, les
cheveux blonds e. le teint de lait des fil
les du Rhin
Ave Maria
A vous Madone de la Loire toutes les
séductions de cette molle terre, la dou
ceur de son climat, la grâce de vos sœurs
tourangelles
Ave Maria
Madame la Berrichone, combien la ron
deur de votre visage et votre pose sont
enclines aux courtoisies des dames roya
les
Ave Maria
Reine du Bourbonnais, au profil allon
gé et dominateur, aux lèvres minces,
l'ovale ascétique et émacié
Ave Maria
Et Vous enfin, encore qu'il faudrait
en chanter tant d'autres moins proches-
Marie des Flandres Bourguignones élar
gies, portant vélure la mode de Bru
ges et de Dijon Altière comme ces bour
geoises, en qui Jeanne de Navarre saluait
des rivales, vous avancez tête haute vos
mains fines et vos poignets ciselés révè
lent le sang bleu et l'arc de vos lèvres
s'es! détendu aux douceurs des verbes fla
mands
Ave Maria 1
Et ouisqu'aussi bien l'écho des hymnes
qui lui sont dédiées, passe, mon insu,
dans ma voix, pourquoi, en cette veille
de Noël, ne point chanter vêpres et de
main Matines, en mesurant le Mystère de
la Nativi.é et en confrontant Marie l'in-
snira ion de Memlinc, dans le panneau
de gauche du triptyque dont l'Hôpital St-
Jean a la garde. La Miséricordieuse de
meure eî sa Maternité proche, où som
meillent tant de nouveaux-nés, s'en trou
veront, pour quelques brièves heures,
transfigurés en un Bethléem de chez nous.
C'est l'heure où la division s'est opé
rée entre elle et Lui, première et non dou
loureuse, que Memlinc nous la fait voir
intégralemen vierge et réellement mère.
L'artiste s'est-il souvenu des vers du
vieux poète que cite le théologien Jean
Caramuel Pourquoi me peindre sans
mon Fils Peins-moi, par impossible
sans moi-même, plutôt que sans Lui
Aussi bien, si rien n'approche plus,
dans notre art du Nord, de l'esprit du
temps iiaduit dans cette strophe et de la
suavité méridionale de Fra Angelico et
de Filippo Lippi, que l'expression et la
ligne de ce te composition, c'est que Mem
linc, comme ses frères d'Italie emprunte
la note dominante de son inspiration
l'office de No're Dame Virgo quem ge-
nuit adoravit
Et voyez comme le Maître donne Ma
rie, par delà les accessoires du costume
e'. du décor, une pose commandée par un
cérémonial de règle l'époque, cepen
dant qu'une simplicité émue et confiante
illumine et relève la conscience de sa dig-
nilé. De plus il nous fait combien reconnaî-